"Équipe, frères et soeurs" par Catherine Méhu.

Publié le par catherine méhu

Le contexte  du travail social aujourd’hui,
la décentralisation,

un passage du vertical à l’horizontal

Penser le travail social aujourd’hui oblige à le situer dans les processus de décentralisation et de régionalisation en œuvre actuellement et de penser l’inscription de ces processus au sein des procédures en mutation dans les institutions.

En effet, la décentralisation dans les institutions rapproche considérablement le citoyen du politique et place le professionnel du champ sanitaire et social dans une articulation nouvelle entre les deux.

Ce qui venait précédemment du haut, de l’état et des ministères plus éloignés et plus impersonnels, arrive aujourd’hui autour de nous et des intervenants sociaux, car si le Conseil Général incarné par son président acquiert les compétences antérieurement dévolues à l’Etat, n’oublions pas qu’il est aussi l’employeur des travailleurs sociaux.
Dans ce nouvel entre-deux, les implications méthodologiques ne sont pas neutres et invitent à repenser les rapports entre les différents axes verticaux et horizontaux.

Si l’on prend par exemple la loi de décentralisation du RMI, elle donne au Conseil Général le pilotage intégral du dispositif : admission, attribution, renouvellement, suspension, conditions de versement de l’allocation insertion… Cela mériterait que l’on fasse le détour et que l’on s’attarde un tout petit peu sur les mesures que la loi implique afin de comprendre les répercussions que ces mesures ont depuis 2005 sur le travail et les équipes psycho-médico sociales et plus généralement sur le devenir du travail social.

Ce qui est clairement visible à travers cette loi, c’est bien l’intrication du travail social, du politique et de l’économique dans les moindres détails de la mise en œuvre, intrication qui reconfigure le paysage dans sa verticalité et son horizontalité.

Passer du vertical à l’horizontal suppose de passer par un processus de « décentralisation mentale », c’est-à-dire de repenser nos modes de rapport au monde politique.
Voilà qui place la réflexion dans l’articulation du politique et du psychologique.

Force est de penser qu’une réflexion est plus que jamais nécessaire pour y voir un peu clair dans cette intrication sous peine de se retrouver dans un système qui gère le tout sans bien comprendre les limites de chacun et sans faire la différenciation des positionnements des acteurs en présence, toutes choses indispensables à une prise en charge éthique des usagers.

Cette topologie nouvelle interroge la place des équipes du champ sanitaire et social et le rapport qu’elles entretiennent avec l’axe vertical, c’est-à-dire entre autres choses l’axe institué de la hiérarchie.

Si la modernisation de l’institution – envisagée comme un processus permanent – passe par l’agencement des deux dimensions verticale et horizontale, nous devrions sérieusement œuvrer à comprendre dans quelle dynamique ces deux axes s’articulent.

Cependant, nous dit Bernard Fourez  la verticalité n’est pas seulement la structure réelle, sociale, hiérarchique, elle est aussi une abstraction qui élève ou transcende l’instant, l’acte, l’interaction en les reliant et en leur donnant la possibilité de se jauger à autre chose qu’à eux-mêmes. Le vertical  permet à l’horizontal de s’inscrire ailleurs que dans une pragmatique, il fait accéder à l’univers de la représentation qui peut aboutir au reliant, au spirituel et au symbolique.


L’horizontalité comme dynamique
du lien dans les équipes


Ma pratique de supervision et de formation dans les institutions me met le plus souvent en relation avec des équipes de pairs et je m’attache globalement à travailler avec elles deux objets.

Le premier objet est la créativité individuelle qui met en scène le sujet dans sa singularité.

Le deuxième objet est l’intelligence collective qui met en scène le collectif, donc le groupe, mais pas n’importe quel groupe. Le collectif se construit à partir d’un groupe qui a travaillé des processus, à commencer par le processus d’individuation par lequel il émerge.

L’articulation de ces deux objets implique qu’ils se déploient dans un mouvement dialectique, le développement du collectif nécessitant la créativité de chacun pour l’intelligence de tous et la créativité de chacun émergeant au sein du groupe. Or il est manifeste dans la pratique clinique que ce mouvement a besoin pour exister d’un espace particulier fait tout à la fois de chaos et de contenance, un espace paradoxal au sens winicottien du terme, aire transitionnelle que peut offrir l’espace de la formation lorsqu’elle est envisagée dans sa dimension psychologique.

Du point de vue pragmatique, l’objectif vise à redonner du dynamisme là où se figent les processus.
Individuellement, il s’agit de resituer le professionnel dans son rapport à l’autre, d’une part sur l’axe vertical asymétrique de la hiérarchie et de la relation d’aide au sujet en souffrance qu’il accompagne ; d’autre part sur l’axe horizontal des relations symétriques qu’il entretient avec ses collègues de travail.

En ce qui concerne le groupe, de construire du collectif là où l’équipe a tendance à fabriquer de l’individualisme forcené dans le dessein inavoué puisque inconscient de se défendre contre l’angoisse.

Ces personnes ont toutes un lien d’appartenance avec l’Institution en étant salariés de diverses institutions du service public, aussi leur rôle professionnel se vit-il d’abord dans un contexte de verticalité.

De quelles représentations et de quels pouvoirs est investie la ligne de verticalité ?

Ce qui surgit à l’évidence dans tous les groupes de formation et de supervision, c’est le registre sur lequel se vit ce qui vient d’en haut. C’est un vécu persécutif dont l’expression passe globalement par un éprouvé qui porte un nom : la plainte.
La plainte !
La plainte, ressenti récurrent, omni présent qui lorsqu’elle remonte sur l’axe vertical n’est pas entendue. Inaudible la plupart du temps, elle agace tant quand elle l’est et qu’elle se fait bruit !
Pour mieux cerner ses mécanismes et pour la faire passer du statut de bruit au statut de parole audible, il fallait donner à la plainte un sens qui puisse la convertir en autre chose, d’opérer une manière de transmutation au sens alchimique du terme sans la faire disparaître. Il était hors de question en effet d’ignorer un éprouvé, toujours vrai par essence sous peine de faire du déni du ressenti, disqualification s’il en est du sujet éprouvant.

Mon idée fut de transformer la plainte en proposition par un passage qui du statut d’éprouvé la conduit au statut d’information.

La transformation du ressenti en information exigeait la création d’une méthode de passage qui utilise le groupe pour faire émerger le sujet et qui utilise l’intersubjectivité pour construire le collectif.

Une fois le changement de statut opéré, il est facile de comprendre que par un simple mécanisme arithmétique une proposition multipliée par le nombre des sujets composant le groupe devienne force de proposition, se transformant ainsi en parole collective audible et claire qui fait sens et qui appelle une réponse.
A suivre…

Publié dans Les cursus modulaires

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F
A peine sortie de l'oeuf, tout juste maléable pour "penser" et "agir" autrement, me voilà de nouveau prête à relire tout ce qui m'est maintenant familier !! Et pourtant, la digestion est lente et difficile qu'est ce que ces mots !! Maïeutique ?! Paradigmes implicites ?! Praxéologie ?! en voilà des mots barbares comme sortis d'un chapeau de magicien, serions-nous (nous, les travailleurs sociaux) devenus si intéressants qu'on nous porte aujourd'hui une telle considération ?? Que l'on s'attarde à observer de près ce que l'on peut bien faire au quotidien et pourquoi on existe ? Je me suis toujours qualifiée, depuis que j'ai démarré ce metier, de "panseuse" de la société, celle qui colmate, soigne et évite les "hémorragies sociales" (entendons les dérives...) mais jamais je ne me serais permise d'être une penseuse !! Oh ! grand dieu non !!Et voilà soudain qu'on nous apprend que l'on a tout ce qu'il faut pour penser notre travail : les experiences, le groupe, l'intelligence, les échanges, et j'en passe... Il nous manquait donc l'ouverture au changement, l'acceptation du vide pour reconstruire, la transversalité (quel terme magnifique !) Ben ça alors ?? Avouez qu'il faut manger léger après ce festin de renouveau !!La métaphore, oui, oui, ils en parlent aussi et ça parle !!!Bon c'est sans aucune prétention que je jette mes ressentis sur ce blog mais je me régale et, en fait, j'ai pas bien envie que ça se termine tout ça ! Qu'est ce qu'on pourrait bien faire après cette formation pour continuer à cheminer ?....Isabelle
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